Les savates du Bon Dieu

Thèmes

Un monde sans aucun sens | Clichés, imagerie populaire | La jeunesse | Lutte des classes | La banlieue | Les politiques et la banlieue | La violence | La bagnole | Les flingues | Le fric | Le sexe | L'école | L'apprentissage | Les femmes | La sublimation par la culture et par l'amour | Un conte

Un monde sans aucun sens

« Le sujet de mon film Les savates du Bon Dieu, est : comment arriver à vivre dans le monde dans lequel nous vivons, où les valeurs disparaissent ? »

« Les savates du Bon Dieu est le monde sans aucun sens. D'où le côté fractionné du film, la multiplication de changements de direction, avec une perspective tendre et dérisoire. »

Jean-Claude Brisseau *

Clichés, imagerie populaire

[Brisseau **] Lui [Fred], comme tout le monde, vit dans une espèce d'imagerie dont il est incapable de se défaire totalement. J'aime beaucoup jouer avec l'imagerie parce que ça permet de se faire comprendre plus vite, d'accélérer la narration.
[...]

[Kaganski] Pourquoi tenez-vous autant à travailler l'imagerie, en particulier érotique, et les clichés ?

[Brisseau] Parce qu'on vit tous dans cette imagerie ou ces clichés. Freud a bien montré qu'on retrouve les mêmes symboles chez tous les individus. C'est donc à partir d'images centrales que se constitue notre inconscient. J'ai toujours été frappé par les malades en pleine crise de démence qui ont un sentiment de réalité plus fort quand ils voient des monstres sortir des murs que face à la réalité elle-même. Je crois que pour entrer dans la réalité, il faut commencer par en douter. Car elle est toujours perçue à partir de notre inconscient, qui est constitué d'images fortes qui nous permettent de communiquer.

La jeunesse

« Je n'aime pas le côté systématique des films qui représentent la jeunesse : " la société est une bande de pourris, ses représentants, l'Education nationale ou les flics, sont des bouffons, les jeunes sont des gentils pervertis par la drogue par la faute de la société ". »
Brisseau ***

Lutte des classes

Fred, dans le château du Luberon :
« A eux deux, ils ont piqué plus de mille fois plus que nous, eux, ils risquent rien, alors que nous, on nous tire dessus ! »

La banlieue

« J'hésitais à tourner dans une véritable cité pour éviter les clichés sordides [...]. C'est aussi pour ça que le film s'ouvre par des fondus au noir : je voulais absolument éviter de commencer par des plans de cité. »
Brisseau ***

La perception de la banlieue par les personnages est assez contrastée. Miguel, mourant, déclare à Fred et Sandrine : « Partez vite ! Ne revenez jamais dans notre cité ! On est mort en naissant. » Fred a une vision plus nuancée lorsqu'il déclare à Sandrine et Maguette à Saint-Étienne : « La cité, on l'appelle la cité de la mort, parce que y'a plein de gens qu'ont été tués ou qui se foutaient par les fenêtres, même des femmes et des enfants. Mais moi, j'étais môme, j'étais bien. »

Les politiques et la banlieue

« Mais il vaudrait mieux aborder franchement la délinquance, qui est une sorte de point aveugle du monde politique qui a tendance à s'enfouir la tête dans le sable face à ces questions de la fonction de l'école et de la délinquance, y compris la gauche. Le terme de «sauvageons» face à la réalité de la délinquance résonne comme une mauvaise plaisanterie. C'est un terme qui révèle l'embarras du politique. Dans certaines zones de non-droit, il est aujourd'hui impossible d'être autre chose que délinquant, ce qui révèle à la fois la faillite de l'Education nationale et l'état de la société. »
Brisseau **

On trouve un écho à ces considérations de Brisseau dans le réquisitoire de l'avocat au procès :

L'avocat :
S'il faut trouver des coupables, c'est du côté des responsables, des élues, des politiques...

Le président du tribunal :
Maître ! Je ne vous laisserais pas déplacer l'objet de ces débats pour vous lancer dans un procès politique.

L'avocat :
Hélas..., mais passons. Revenons à ces enfants nés dans ces cités, hors la loi.

La violence

« Pour les «Savates du Bon Dieu» que nous avons tourné en partie dans une cité de la région stéphanoise, nous avions choisi cet endroit pour sa relative tranquillité. Or pendant le tournage, il y a eu énormément de problème de violence ».
Brisseau *

Fred bouscule Elodie lorsqu'elle lui annonce qu'elle va le quitter

Fred est un personnage assez violent, qui n'hésite pas à bousculer sa femme, brutaliser son employeur, ou à sortir une hache (!) pour poursuivre Kamel, et qui est retenu par Sandrine lorsqu'il veut tirer sur les policiers. La violence culmine lors de la fusillade dans le bar qui aura pour conséquences 5 morts : les trois frères Zaoui, Marouf et Miguel. La violence n'est pas réservée aux hommes puisque Sandrine participe aux multiple hold-up et à la fusillade avec le même sang-froid que Fred ou Maguette.

Les flingues

« L'état de déliquescence armée de certains quartiers est assez inquiétant. [...] La première solution [à la délinquance] serait sûrement de commencer par désarmer les banlieues »
Brisseau **

« Dans certaines cités on peut acheter une arme d'occasion pour cinq cents francs, une neuve pour deux-mille et on tue pour quinze mille francs. »
Brisseau *

Ainsi, on ne s'étonne pas dans le film de constater que Fred a un pistolet.

La bagnole

« A l'origine, il y avait beaucoup plus de choses concernant les voitures, je voulais que les relations d'amour et de désespoir se traduisent par la bagnole. Il y avait des acrobaties comme des ballets. Après le premier hold-up à la Poste, il y avait une poursuite avec la police très élaborée, plus proche d'un gag que d'une cascade : tout était prêt, pour une fois storybordé, j'avais trouvé l'emplacement de la caméra, mais alors que je faisais le service d'ordre sur le plateau, la production avait prévu autre chose. »
Brisseau ***

Voitures dans le film :

Le fric

Fred jette les billets volés à la sortie de la Poste

L'argent revient souvent dans les conversations des personnages :

Miguel agonisant dans le bar :
Ç'a été bon d'avoir du fric.

Fred  :
Si j'avais eu plein de fric, ça ne serait pas arrivé.

Fred à Elodie, après avoir sauté du parapet :

Du fric, j'en ai plein maintenant, alors reviens !

Elodie (lui répondant) :
Je vis maintenant dans un autre monde où les choses sont moins dures pour la petite.

La grand-mère à la fin du film :
La misère, nous, on a assez donné. L'argent ne fait pas le bonheur, et bien la pauvreté non plus !

Le sexe

Elodie (Coralie Revel) dans le fantasme récurrent de Fred

« C'est encore un sujet tabou pour beaucoup de personnes, et même dans le milieu du cinéma. Je pense que la société d'aujourd'hui repose essentiellement sur un déplacement et une substitution du désir sexuel dans le travail. »
Brisseau *
 
L'état de pauvreté sexuel de la banlieue est décrit à travers la « cave » sous le hangar et par les paroles de Marouf et Miguel dans le bar où ils déclarent avoir eu des « filles superbes » avec l'argent donné par Fred.

L'école

« L'école est le reflet de toutes les contradictions de la société et d'un malaise social profond »
Brisseau **

Maguette se faisant passer pour un inspecteur

Maguette la qualifie après le chahut dans l'école d'« accoucheuse pour savates du bon Dieu ».

L'apprentissage

« Ce qui m'intéressait, c'était surtout le parcours d'un jeune homme qui n'a pas d'autre recours que la délinquance, qui passe d'un côté immature à la maturité. »
Brisseau ***

Les femmes

« Pour moi, les femmes sont liées à une connaissance d'autrui et de la réalité plus forte que celle des hommes. Mais elles portent aussi une part de mystère et de pouvoir de manipulation. Ce sont des thèmes qu'on retrouve chez le Bergman des années 50, moi je le fais spontanément, probablement parce que je me mets à la place de tous les personnages masculins de mes films, mais sans m'y projeter en tant que personne. »
Brisseau **

La sublimation par la culture et par l'amour

Fred (Stanislas Merhar) et Sandrine (Raphaële Godin)

« On y retrouve des thèmes quasi obsessionnels chez moi, notamment la valorisation de la sublimation par la culture et par l'amour. »
Brisseau *

« Quand des gens payent pour pleurer à Autant en emporte le vent, ce n'est pas par masochisme mais pour éprouver une émotion qui va les aider à vivre la souffrance, c'est de l'ordre de la sublimation fondamentale. Et cette sublimation est impossible sans accès à la culture. Comme la vie en société repose sur une certaine répression des pulsions qui déclenche un mal-vivre, on ne s'en échappe qu'en sublimant par les arts qui savent réveiller la souffrance tout en la berçant. C'est de ça que parle Baudelaire dans La Musique. »
Brisseau **

Un conte

« A chaque fois que j'ai voulu dire des choses graves, je l'ai fait de manière décalée et dérisoire. Ici, je voulais traduire une réalité sociale et psychologique sous la forme d'un conte. »
Brisseau *


* Jean-Claude Brisseau et Thomas Cazals, sous la peau de l'ours «Crash», n°11, mars 2000, p. 57

**Jean-Claude Brisseau et Serge Kaganski, Jean-Claude Brisseau - La guerre n'est pas finie, «Les Inrockuptibles», n°233, 8 mars 2000

*** Jean-Claude Brisseau, Baptiste Piégay et Charles Tesson, Fred, c'est moi, «Cahiers du cinéma», n° 544, mars 2000, p. 29